
Une histoire d’amour et de ténèbres est loin d’être un roman historique, un récit ou encore un témoignage. Un roman autobiographique où l’auteur réinvente le parcours familial d’un peuple juif, l’idée est de recréer un monde perdu à travers des événements majeurs, des faits historiques, la linguistique, la mémoire familiale. Il écrit dans un style à la fois complexe et sophistiqué qui donne au contenu une richesse inouïe. Il le dit lui-même, il à coeur de faire de son roman un chef-d’oeuvre : on y retrouve des faits, des anecdotes, des réflexions sur la création littéraire, sur Israël ou sur le sort des Juifs d’Europe, sur un ton qui se prête à la narration, à la parodie, ou encore de façon invective. On pense alors à sa mise ne garde contre « le mauvais lecteur , nous donnant des leçons sur ce qu’est la création littéraire : un dialogue incessant entre l’auteur et son lecteur, et non se faisant le porte-parole de l’auteur et de sa création. Il cite lui-même Rabelais dans le Gargantua pour servir de contre-exemple au lecteur qui a tendance à aller chercher « jusqu’à la substantifique moelle » pour connaître l’auteur et sa création et d’en rester aux simples faits.
L’auteur nous décrit la vie de ses ancêtres, de sa vie au Kibboutz, de son enfance à Kerem Avraham de son expérience qui ne sert que de prétexte pour faire valoir des intérêts de toute une nation et d’un Etat : Israël.
Une histoire d’amour et de ténèbres c’est l’imbrication de plusieurs histoires : celle de ses propres souvenirs, celle de ses arrières-grands-parents, ses grands-parents, ses parents. En tant que romancier, il se doit d’explorer l’expérience vécue de ses illustres aïeux : autrement dit, explorer l’existence humaine et l’itinéraire d’un peuple.
Amos est né en 1939 à Jérusalem, issu d’une famille de lettrés et d’érudits d’origine lituanienne. Il est le petit-neveu de Yoseph Klausner qui a eu une influence sur la linguistique hébraïque. C’est pourquoi, il retranscrit aussi son rapport à la langue, une histoire où la collectivité fait corps avec une grammaire. Autrement, la création d’une langue de l’avenir : celle qui permet à tous les exilés d’Europe de cohabiter ensemble sur une terre nouvelle.
Sylvie Cohen, la traductrice de ce roman nous invite, de fait , à réfléchir sur le rapport à la langue et à la famille, rythmé par un style poétique et musical. Elle traduit le texte avec souffrance et effort tandis que Oz amoureux de sa langue, y prend un profond plaisir, car une langue ressuscitée dès le XIXe siècle.
Le livre parut en 2004 en langue française aux Editions Gallimard.
Des histoires d’amour et de ténèbres donc. Une histoire d’amour sur les grands-parents ; les histoires que sa mère lui racontait portant sur un monde disparu empli de magie et d’horreur ; les désillusions d’un père qui se destinait à l’écriture, et qui se retrouve bibliothécaire. Celui du fils qui, dans son intimité avec les livres et les bibliothèques et son goût pour le mystère, rêve d’être un livre pour la linguistique notamment (on pense à quand il court dans la demeure de son grand oncle Yosef à la recherche d’un passage dissimulé, resté secret et non découvert jusque-là : un peu comme quand il cherche à restituer des vérités à travers l’écriture de ce roman.) Entre humour, dérision et tristesse et douleur : ce livre a l’allure d’une histoire tragi-comique.
Le suicide de sa mère est évoqué à plusieurs reprises par Amos, et il retranscrit sa douleur dans une description à propos de celle qui ne dort plus et erre dans la nuit : à la quête de la vérité, il cherche une perpétuelle réponse sur la véritable cause de son décès. Il décrit avec grande précision les étapes de son deuil, et le père recompose une nouvelle famille en se remariant un an plus tard. Une histoire de ténèbres pour la vengeance d’un fils face à son père, le considérant comme responsable de la mort de sa mère. Il tue son père et change son nom : passant de Klausner à Oz qui signifie « force » en hébreu.
J’ai bien aimé le livre, une belle découverte ! Entre la mémoire, les souvenirs, et les rêves, on traverse des chemins à la fois sinueux et poétiques.