Si la presse écrite a toujours été un vecteur essentiel d’information, on mise, encore aujourd’hui, sur la qualité d’une information, sa fiabilité, son contenu et le style de la plume. Mais, la forme prime sur tout le reste. Un Journal que l’on tient à la main, ce que l’on voit en premier, c’est une écriture. Laquelle ? Une plume qui se saisit de son encre pour écrire, écrire sur le monde qui nous entoure, se représenter la réalité du monde telle que nous la percevons : d’abord le monde à l’esprit, puis l’esprit au monde. C’est typiquement le mode d’écriture journalistique, le besoin de saisir le réel, celui d’éclairer son public dans un temps délimité afin de raconter un fait, un événement.
Le Journal s’avère tout à fait utile et est, de même, un instrument au service de la création littéraire.
On écrit des histoires, des contes, des poèmes, des récits de voyage, en bref, on écrit des idées qui ont pour but de plaire au lecteur, de l’amuser, de le divertir et de tourner son attention sur le scandale que le récit produit, tout en s’inspirant des pratiques journalistiques. A l’inverse, sans réel souci du public « en général », de nombreux auteurs s’appuient sur des journaux périodiques tels que le feuilleton pour y publier leurs oeuvres, pour ensuite échanger, discuter, dans des lettres de correspondances avec des amis ou leurs principaux concurrents. Ce fut le cas de Baudelaire, qui en 1861, avait publié des poèmes en prose dans La Presse, un quotidien parisien à grand tirage.
De plus, on estime que la qualité d’un Journal repose avant tout sur la qualité de son audience. Souvent, un auteur ne redirige pas les mêmes textes pour un quotidien que pour une revue littéraire, cela, en fonction de son public respectif, ce dernier ayant un public visé et bien choisi, dit de la haute société aristocratique. A titre d’exemple, dans l’esprit de Baudelaire, certains poèmes étaient plus adéquats du côté de la revue, d’autres penchaient plutôt du côté du quotidien.
C’est pourquoi il faut être exigeant et incroyablement doué pour frapper là où le public s’y attend le moins. Parfois, la sincérité et l’honnêteté d’un auteur se mettent en travers de son chemin, car lorsqu’un journaliste dit d’un roman qu’il est fabuleux et doit en faire une critique dans son prochain article, il peut avoir quelques difficultés à lui trouver un défaut. Pourquoi à tout prix vouloir trouver un défaut à une oeuvre quand elle n’en a pas ? Parce que le public recherche le scandale et l’amusement, il faut ainsi se plier à certaines règles qui font le métier, pour que l’auteur puisse espérer trouver le succès qu’il mérite : celui d’avoir tourné en ridicule une thèse ou une approche littéraire de son meilleur ennemi. Tel était le monde du journalisme au tournant du XIX° siècle, et telle est ma façon de le percevoir, ainsi que de l’imaginer. Mais est-ce vraiment ce que recherche l’auteur, un auteur qui se veut être en conformité avec la valeur littéraire ? Un auteur honnête et sincère, qui entre dans un Journal pour y publier des articles, se retrouve confronté à un monde étranger au sien, quelque peu dérangé, qui se dit « ouvert » aux idées du monde moderne et à la critique littéraire. Si l’on dit d’un poète qu’il est prétentieux et renfermé sur lui-même, et non apte à devenir intéressant aux yeux de quiconque dans un Journal : c’est moins pour son obscurantisme, que pour son immense respect de l’art littéraire. Si l’on dit de la littérature qu’elle n’est pas compatible avec le métier de journalisme, alors on a tort de ne pas lui donner raison. Mais quelque part, au fond, les deux ne font pas mauvais ménage. De nombreux écrivains et poètes, s’expliquent, discutent et partagent la parution de leur nouveau roman dans des correspondances qui ont préalablement fait l’objet d’une publication dans un journal périodique. On ne peut ainsi nier que la presse ait joué un rôle important dans la création littéraire : c’est une histoire commune. Mais il arrive un moment où l’individu se positionne afin de choisir une orientation qui lui est singulière : celle de la camaraderie littéraire, ou celle de la « parole grave et religieuse » si je cite Balzac dans son oeuvre ~Les Illusions perdues.~ A l’évidence, Balzac avait bien cerné cette incompatibilité : la carrière littéraire et le journalisme. Au-delà même de cette disjonction, le discours religieux et aristocratique d’un côté, et le discours libéral de l’autre, se font face et sont l’héritage de ce qui constitue le Journal d’aujourd’hui, à savoir le bord politique de droite, dit traditionaliste, et celui de gauche qui défend les idées modernes.
Deux styles de production totalement différents, il n’en reste pas moins que la frontière entre les deux reste poreux.
Dès lors, une synthèse existe-t-elle entre le journal et la figure du littéraire ? Il semble que si Claudel avait caractérisé ainsi la langue de Baudelaire comme « un extraordinaire mélange du style racinien et du style journaliste de son temps », l’ambiguïté est telle qu’aujourd’hui, la question est de savoir si une telle plume existerait. Sans doute, cela est rendu possible loin de toute écume médiatique.
