
Emmanuelle Arioli est médiéviste, archiviste-paléographe et docteur en Etudes médiévales depuis 2017 au Collège de France. Sa découverte et sa reconstitution du roman de la Table ronde lui vaut un prix à l’École nationale des Chartes.
Michel Zink et Sylvie Lefèvre ont dirigé sa thèse de doctorat en 2017 à la Sorbonne. En 2023, il publie son roman, juste avant d’obtenir son habilitation à diriger des recherches à l’École Normale Supérieure de Paris.
Il s’agit de la « version cardinale » la plus ancienne du chevalier au dragon, conservée par le manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris écrite entre 1240 et 1273. L’auteur reprend la trame générale de l’œuvre, en laissant de côté les personnages secondaires, pour se focaliser davantage sur l’intrigue principale. Cette version est suivie par des versions complémentaires et alternatives allant du XIIIe au XVe siècle.
L’historien, grâce à la collecte de ces autres fragments, a pu redessiner les contours de la trame narrative qui a été poursuivie et remaniée pendant trois siècles.
Ce choix de versions permet de suivre les transformations du récit et son prolongement. La traduction reste fidèle au manuscrit tout en préservant l’ancienne langue et ses formules répétitives. La traduction conserve la prose rythmée et nerveuse. Chaque épisode est traduit intégralement à partir d’une formule de début « le conte dit que » jusqu’à la formule de fin « maintenant le conte cesse de parler ».
Ségurant s’inscrit dans la tradition du roman arthurien, une tradition inaugurée dans la seconde moitié du XIIe siècle par Chrétien de Troyes et continué dans des romans en prose au XIIIe siècle. Dans la légende, Ségurant n’était pas inclus dans les Chevaliers de la Table ronde. Or, un auteur anonyme a inventé le personnage lui conférant un grade unique, faisant de lui, le meilleur chevalier de la cour du roi Arthur.
Deux parties structurent le récit : une première partie avec des combats de joutes où l’on visualise un chevalier preux et vaillant tel un Achille infatigable qui triomphe et l’emporte sur tous les autres. La seconde partie le montre traquant un dragon illusoire le menant lui et ses compagnons à des péripéties et des enchantements maléfiques.
Le tournoi qui se déroule à Winchster à l’initiative de Ségurant permet de nouer les deux intrigues entre elles : c’est le point de jonction où toutes les intrigues se croisent. Particulièrement, c’est le moment où le merveilleux fait son apparition, inexistant dans la première partie. Le chevalier à la quintaine devient le chevalier au Dragon qui disparaît comme par enchantement.
La cohérence de l’univers du roi Arthur et la cohérence demeure intacte malgré la nouvelle apparition du héros. Au cœur des aventures de Lancelot et de Tristan, cette œuvre se présente comme une continuation paraleptique. Autrement, l’œuvre qui se déroule dans le même cadre et à la même époque raconte d’autres histoires.
L’intrigue est inachevée, car elle serait inachevable. En effet, Ségurant ne peut tuer le dragon, car il est le diable qui ne connaît aucune mort mortelle, d’après le narrateur. D’après les clercs-médiévaux, Ségurant poursuit le fantasma, une image fabriquée par les démons pour tromper le sens des hommes. Dès la Genèse, dans la religion chrétienne, la valeur du serpent-dragon est associée au diable.
L’intrigue inachevée et le mystère qui entoure son dénouement ont incité certains copistes à envisager l’histoire du héros d’une autre manière. Les continuations ou prolongements de la version initiale racontent d’autres péripéties pendant la poursuite du dragon ou après le désenchantement du héros. Un seul continuateur du récit de la fin du XVe siècle a conclu l’histoire en éliminant le monstre.
L’historien déchiffre les manuscrits, parcoure les bibliothèques de toute l’Europe : en France, Italie, Suisse, Belgique, Allemagne. Il est parti à la quête, comme ce chevalier qui poursuit le dragon imaginaire, d’un personnage de fiction. En comparant les épisodes de plusieurs manuscrits retrouvés, l’historien a constaté qu’il y avait un fil conducteur qui pouvait s’enchaîner.
Il avance plusieurs hypothèses quant à la disparition du roman. Parmi elles, la perte s’explique par le Concile de Trente au XVIe siècle qui a classé « les prophéties obscures de Merlin » à l’Index des livres interdits. Merlin est le fils du diable et porte l’hérésie. Le Chevalier, mentionné dans les prophéties de l’enchanteur, un personnage double de la Table ronde avec pour emblème l’animal féroce des légendes bretonnes, explique que le livre a été brûlé. De même, la Bibliothèque de la famille d’Este à Ferrare a été incendiée au cours du XVIe siècle, et la Biblioteca Nazionale de Turin a été ravagée par le feu en 1904.
Un roman dont la dimension obscure, épique, est inédite, a renforcé mon envie de redécouvrir à nouveau les aventures des Chevaliers de la Table ronde, dans un schéma plus classique.

One reply on “Ségurant ou le Chevalier au Dragon”
wow!! 39Le parfum de Patrick Süskind
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