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Littérature classique

Demian de Herman Hesse

Ne dit-on pas qu’il faut avant tout s’intéresser à l’homme derrière son œuvre, l’auteur derrière le livre ? 

L’enfance de Hesse est intimement liée au personnage Saint Clair dans Demian. Herman Hesse est un poète désargenté. Lui-même le dit, peu importe la profession que nous exerçons : professeur, agriculteur, ingénieur ou que sais-je ? Devenir poète ne nécessite pas de formations préalables, de passer des concours. On le devient c’est tout. Mais il ne suffit pas de le vouloir non plus. 

Herman Hesse a vécu son enfance dans les livres. L’idéal artistique du jeune Hesse lui vient de la lecture et non de l’expérience. Il n’appartient pas à une école de pensée, ou à un mouvement. Il découvre son idéal dans les biographies. Il sort du séminaire de Maulbronn, où il a lu Werther et Heine. Il travaille dans une librairie de Tubingue et est au service des étudiants et professeurs. A vingt-ans, il est entouré de ses piles de livres. Il est d’ailleurs bien plus épanoui que s’il faisait des études de littérature allemande. Il écrit et publie dans des maisons d’édition de renom sans jamais avoir cotoyé de poète contemporain. 

De fait, l’artiste habite le monde et se place dans celui-ci d’une manière singulière. Le poète est très touché par la musique. Au moment où la guerre éclate, le poète succombe à l’ivresse qui exalte la mort ; écartelé par un mal cauchemardesque auquel il donne libre cours. La force qui le subjuguait était donc la musique. Beethoven ou Bach, qu’importe ! Le seul fait que la musique existe, qu’un être puise se laisser émouvoir par des rythmes, c’est ce qui lui semble être « une consolation et une justification de la vie ». La musique est l’élévation sublime. Elle imprime en lui des sensations, elle les suggère, et n’exprime pas seulement des émotions. Elle est aussi un art du simulacre, puisqu’en elle et par elle nous nous laissons frustrer de la vie. 

Hesse est un peintre, musicien, qui sait reconnaître les dangers de la musique et la puissance de l’introversion. Il évoque dans plusieurs de ses romans tels que Gertrude, la « violence de l’intériorisation ». Ce penchant pour l’extraordinaire et les sensations à effet hypnotique conduisent à une maladie. C’est s’extraire pendant un moment du quotidien avec ses exigences rudes. 

Le malaise du poète, nous le ressentons entre ses lignes. Le poète, en proie à l’émerveillement, est aussi celui qui, au milieu de ce monde, fait figure d’exclu, étranger, handicapé, fou. Un étranger démuni, privé de ses droits, que la tristesse l’inciterait à sortir l’épée de son fourreau. Il est nécessaire de lire Rosshalde pour comprendre les dangers de la musique évoqués par Hesse. C’est le roman d’un peintre. Et la peinture à son rôle, car les peintres sont les amis de la nature. Les bons peintres ne se contentent pas seulement de l’intériorité, ce sont des artisans, des bâtisseurs, des créateurs. Le danger, c’est lorsque le peintre, tout autant que le musicien, est absorbé par son œuvre.

Hesse souffre de sa solitude, et elle est devenue plus poignante dans Rosshalde en 1914. Le peintre Veraguth est en effet solitaire : «  Il souffrait, il ployait sous la douleur et était tenaillé par la solitude tel un loup par la faim. Cet homme éprouvé s’était essayé à la fierté et à la reclusion, mais n’avait pas pu les supporter ; il était à l’affût d’un être humain, d’un regard bienveillant, d’une ombre de compréhension et prêt à s’y jeter corps et âme en faisant fi de toute dignité. »

Rédigé en 1917 avec toute la fougue et la fièvre nécessaire, Demian est, sans conteste, le roman qui m’aura le plus inspiré. Et c’est précisément parce qu’il révèle le poète. Cette phrase «  il faut parvenir à soi-même » insiste sur les racines profondes de l’être humain. Le roman représente l’accession à soi. Il est la représentation d’une expérience religieuse. Par ailleurs, la langue est transposée dans un monde macabre et illusoire, qui permet d’exprimer la douce et violente passion, à la Caïn, sans perdre l’éclat de la pureté que les tempêtes humaines ne peuvent entacher. 

Il y a de la vie, des expériences et des circonstances propices qui ont permis l’élaboration d’un tel livre. Entre les lignes, nous sentons la vigueur d’un intellect nietzschéen qui expulse la torture intérieure vers la lumière. Dans son bref aperçu autobiographique, le poète dit être possédé par la souffrance, il parle d’ « une descente aux enfers à travers le soi ». Par là, il cesse de rejeter la faute sur les hommes et Dieu, il l’accepte comme sienne en s’attaquant au désordre qui régnait en lui, en essayant de remédier à cela.

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